Céleste Albaret, Monsieur Proust - Critique




Céleste Albaret a été la gouvernante, la confidente de Marcel Proust, de 1913 à 1922. Il s'agit des années durant lesquelles Marcel Proust s'est volontairement reclus pour terminer "A la Recherche du Temps Perdu" (Céleste est entrée à son service au moment de la parution de "Du Côté de chez Swann"). Longtemps Céleste a refusé de livrer au public l'intimité de Marcel Proust qui durant cette période lui confiait tout, discutait avec elle de ses soirées, de ses observations, de ses pensées. Seulement, devant l'avalanche de mensonges publiés par des auteurs peu scrupuleux, des légendes brodées autour de faits biaisés, voire carrément inventés, elle a finalement décidé, passé 80 ans, de témoigner de son quotidien avec celui qui est un des plus grands auteurs de notre temps.


Le livre est basé sur ses entretiens avec Georges Belmont. Le style est vivant, coloré, chaleureux et nous entraîne dans cet univers clos qui tourne autour de Proust. C'est Céleste qui nous parle et à travers ses mots, ses souvenirs, Proust prend chair, devient vivant, accessible, humain. Il perd de ce côté hiératique que lui donnent souvent de nombreux biographes. 

Grâce à ce livre on se rend compte à quel point "A la recherche du temps perdu" est l'oeuvre de toute une vie. Proust, de part son asthme, a été forcé de rester en retrait, d'être observateur. Son oeuvre est l'enfant de cette vie passée à observer et analyser ses contemporains.  Il avait une mémoire quasi photographique et une profonde connaissance de la nature humaine - dont il savait d'ailleurs bien jouer pour obtenir ce dont il avait besoin pour son oeuvre. Conscient du déclin et de la perte prochaine du monde dans lequel il évoluait il a écrit, durant ces dernières années, contre le temps qui  l'entraînait vers sa propre mort mais aussi celle de cette société dont il témoignait et dont il devait observer les derniers soubresauts avant qu'elle ne disparaisse complètement.

Ainsi qu'il le disait à Céleste, son but était de construire une cathédrale littéraire qui défierait le temps et lui survivrait. Pour rendre ses personnages crédibles, il s'est basé sur ses contemporains mais dès le début ce sont les personnages qui sont importants et non leurs modèles. Comme il le disait, dans cent ans tout le monde aura oublié la comtesse Greffulhe ou madame Strauss mais la duchesse de Guermantes restera dans les mémoires. Pour prendre un exemple, si de nos jours on parle encore de Robert de Montesquiou c'est qu'il a été un des modèles du baron de Charlus. Sans La Recherche - et cette erreur récurrente de voir cette oeuvre comme une série de romans à clé - toute cette société, toutes ces personnes, seraient déjà depuis longtemps tombées dans l'oubli. Ils n'existent plus qu'à travers La Recherche.

Ce qui ressort également de ce livre est naturellement la personnalité de Céleste que l'on aimerait connaître encore plus.  Elle s'accordait très bien avec Marcel Proust car elle était d'une égale intelligence et une toute aussi grande observatrice. Ses analyses, spontanées, naturelles, ont grandement aidé Marcel. Je n'irais pas jusqu'à dire que sans elle Marcel n'aurait pu aboutir - il faisait montre d'une grande volonté et était prêt à tous les sacrifices pour parvenir à son but donc il y serait certainement parvenu - mais elle lui était essentielle. Son dévouement était sans faille et elle a été pour lui tant une amie qu'une mère, une confidente.  Nous ne pouvons que l'en remercier et la remercier également de ce témoignage.
J'ai passé un merveilleux moment de lecture en compagnie de ce livre, dans cet univers. Je suis depuis longtemps une lectrice de "La Recherche" et Marcel Proust me fascine depuis autant. Me retrouver ainsi au plus proche de lui, assister au processus créatif qui a donné naissance à ce chef d'oeuvre, rencontrer cette femme admirable qu'était Céleste, a été un pur bonheur.


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